Les femmes et la sécurité humaine

XVIIIe Congrès, São Paulo, Brésil, les 24 et 25 octobre 2003

Résolution

La notion de ‘Sécurité humaine’ signifie vivre dans la paix, la liberté et le respect de la dignité de chacun. Elle concerne l’individu et la communauté mais aussi l’État. Pour réaliser la sécurité humaine, il faut protéger les êtres humains des menaces et des situations dangereuses et, aussi, leur donner les moyens de décider de leur vie. La sécurité humaine est plus qu’une absence de violence et de conflits. Elle inclue les droits de la personne, la bonne gestion de l’État, l’accès à l’éducation, au travail rémunéré et aux soins médicaux.

Bien que la paix et la sécurité humaine soient considérées comme des valeurs universelles, des conflits persistent dans différentes parties du monde et près de la moitié de la population mondiale continue à vivre dans la pauvreté et la misère extrème. Au début du XXIe siècle, les pays en conflit ou sortant de guerre sont près de 60. Il existe un lien direct entre les conflits et la pauvreté: la majorité des pays, en situation de conflits, qu’ils soient internes ou internationaux, sont parmi les plus pauvres.

Au cours des dernières décennies, la nature des conflits s’est modifiée et les limites les séparant sont de moins en moins distinctes et même si la plupart sont internes, les régions et les pays voisins sont également affectés. Durant les conflits récents, on assiste à une intensification des attaques contre les civils et on observe également une augmentation des violences contre les femmes, des sévices sexuels au viol systématique, de la prostitution forcée aux grossesses forcées, ainsi que des violations constantes des droits humains des femmes. Celles-ci, en effet, sont considérées comme les garantes de l’identité culturelle; les violences perpétrées contre elles sont donc porteuses d’un message politique et symbolique et les violences sexuelles et le viol font maintenant partie d’une stratégie de guerre.

Ces nouvelles caractéristiques des conflits violents font qu’il existe peu de mécanismes pour protéger les femmes et les filles prises dans un conflit. Il est donc d’autant plus nécessaire de mettre fin aux conflits, de renforcer leur prévention et d’instaurer la paix. La responsabilité de ces tâches appartient principalement aux institutions nationales, régionales et internationales et, par-dessus tout aux Nations unies, dont l’autorité doit être renforcée et reconnue par tous les États membres.La prévention des conflits signifie également comprendre leurs causes et tenter de les éliminer. La pauvreté et la frustration sociale sont les raisons principales de ces conflits et génèrent une multitude de problèmes comme les disparités culturelles et l’instabilité politique et économique.

En temps de conflit, l’action humanitaire consiste à protéger les personnes touchées par la guerre. Au cours des dernières années, cependant, cette tâche s’est compliquée, car il est parfois difficile de distinguer entre l’intervention humanitaire, politique et militaire. Les décisions concernant les interventions militaires doivent être prises par le Conseil de sécurité de l’ONU et être exécutées dans le respect de la loi internationale. Le systême judiciaire international ainsi que le Conseil de sécurité de l’ONU doivent être réformés et leur rôle étendu. Il ne faut pas que l’action humanitaire serve de prétexte à l’intervention militaire, non plus qu’il ne faut la diminuer ou l’exclure par crainte de ce risque. L’action humanitaire doit être guidée par une approche fondée sur les droits de la personne et sur des mesures visant à satisfaire les besoins essentiels de nourriture, d’eau, de système sanitaire et de logement.

Les femmes continuent à ne bénéficier que d’un accès limité à la protection et à l’aide humanitaire car celles-ci leur sont souvent difficilement accessibles. L’action humanitaire doit prendre en compte les besoins spécifiques des femmes en particulier physiques et psychosociaux. Les violences sexuelles utilisées comme arme de guerre traumatisent les victimes et ont contribué parallèlement à la propagation de maladies sexuellement transmissibles comme le VIH/sida. Les femmes atteintes et celles qui sont menacées ou dans des situations à risque, y compris celles qui vivent dans des camps de réfugiés ou qui sont déplacées à l’intérieur de leur pays, doivent bénéficier non seulement de soins médicaux, mais aussi d’une éducation et d’informations en matière de prévention. Une attention particulière doit être accordée à la sexualité masculine étant donné que les hommes sont les principaux responsables de la transmission du VIH-sida.

Les déplacements massifs de personnes qui fuient la guerre, les violations des droits de la personne et les discriminations ethniques sont une des graves conséquences des conflits armés. La majorité des réfugiés, des personnes qui retournent dans leur pays et des personnes déplacées à l’intérieur des frontières sont des femmes et des enfants. Ces derniers sont victimes de discriminations et de violations de leurs droits à l’image des discriminations traditionnelles mais également causés par l’affaiblissement de la communauté et des mécanismes de protections familiales.

Afin de créer une culture de la prévention plutôt que de la réaction, des mesures concrètes doivent être prises pour créer un système d’alerte et de réaction précoces. La première étape consiste à tenter d’éliminer les origines du conflit. Les violations ‘des genres’, y compris le viol, la traite et la prostitution liée à l’armée peuvent indiquer un conflit potentiel. D’autres indicateurs sont la présence en baisse de femmes dans la société civile organisée et dans les partis politiques ainsi que le nombre élevé des violences domestiques, comme ce fut le cas en Afghanistan. Les missions d’enquête envoyées dans les zones de conflit potentiel doivent faire appel à l’expertise des organisations féminines.

La prévention et la résolution des conflits par des moyens autres que militaires sont donc plus urgentes que jamais. Il est ainsi impératif que les femmes soient incluses dans les analyses, l’élaboration des politiques et les négociations, car plus que les hommes, elles sont disposées à engager et à poursuivre le dialogue et à explorer de nouvelles voies, n’étant en proie à un comportement typique de conflit. De nombreux exemples le prouvent, de l’Irlande du Nord aux campagnes contre les mines antipersonnel. Toutefois, il est fréquent que les initiatives de ce type ne soient pas reconnues à leur juste valeur et parfois même discréditées ou tout simplement ridiculisées.

La fin des conflits violents ne garantit pas la paix et la sécurité. Le passage à la paix est un processus difficile et non linéaire. Des étapes et des stades divers interviennent: l’aide humanitaire, la réadaptation, la reconstruction et la promotion de la réconciliation et de la coexistence ainsi que le soutien du développement de la démocratie. Jusqu’à présent, la participation des femmes aux processus de paix formels a été limitée. Toutefois, celles-ci peuvent jouer un rôle important dans l’élaboration et la mise en oeuvre des accords de paix. C’est pourquoi il est essentiel que la résolution 1325, du Conseil de sécurité sur Les Femmes, La Paix et La Sécurité, soit appliquée.

L’ISF félicite le Secrétaire général des Nations unies de la nomination de Mme Jane Holl Lute au poste de Sous-Secrétaire général des Nations unies aux opérations de maintien de la paix et salue les efforts du UNHCR pour adapter ses travaux aux besoins des femmes réfugiées.

L’ISF salue l’entrée en vigueur de la Convention de l’ONU contre le crime organisé transnational et du Protocole complémentaire sur le trafic des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants. Ces documents, qui ont force obligatoire, sont des outils importants pour lutter contre le trafic des êtres humains – en particulier des enfants et des femmes – pour protéger les victimes, leur venir en aide et promouvoir la coopération entre les Etats afin de réaliser ces objectifs.

La reconstruction d’un pays ou d’une région après un conflit nécessite en premier lieu que la stabilité et la sécurité humaine soient garanties. Même après la déclaration de la paix, les femmes demeurent menacées par la militarisation et le climat de violence qui persistent après un conflit. La participation à égalité des femmes à tous les stades des négociations en faveur de la paix et des processus de réconciliation doit être garantie. Après la fin d’un conflit, les hommes s’accordent les uns aux autres du travail ainsi que d’autres opportunités dans la société et jouent un rôle prédominant dans la reconstruction de leur communauté. Les femmes ne bénéficient pas à égalité d’opportunités de participer à la reconstruction de leur communauté. Les agences d’aide humanitaire et de développement doivent intégrer l’éducation et l’autonomisation économique des femmes aux programmes d’après-guerre. L’égalité des sexes, les droits humains des femmes et leurs droits politiques, sociaux et économiques doivent être pris en considération dans toutes les politiques.

La santé et la sécurité humaine occupent une place centrale dans la survie. Elles dépendent de la paix et du développement. Le développement est important pour promouvoir l’éducation élémentaire, en particulier des femmes et des enfants. L’éducation est la ‘ressource’ la plus importante pour l’autonomisation des femmes et le développement d’une communauté. Les investissements dans l’enseignement élémentaire des filles et des femmes contribuent à promouvoir leur santé et leur sécurité et celle de chacun. La capacité à lire et à écrire améliore la qualité de la vie et augmente la sécurité. L’éducation, sans discrimination de genre, ‘libère’ grâce à la connaissance et contribue à promouvoir la sécurité humaine.

L’Internationale socialiste des Femmes rappelle en particulier les conventions internationales suivantes:

  • La Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes (CEDAW) du 18 décembre 1979, la Déclaration des Nations unies sur l’Élimination de la Violence contre les Femmes du 20 décembre 1993, et la Convention des Nations unies relative aux Droits de l’Enfant du 20 novembre 1989;
  • la Convention de l’Assemblée générale contre la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains ou humiliants du 10 décembre 1984 et la Déclaration de l’Assemblée générale 3318 sur la Protection des Femmes et des Enfants dans les situations d’urgence et les conflits armés du 14 décembre 1974, en particulier le paragraphe 4 qui recommande la prise de mesures concrètes contre la persécution, la torture, la violence et les traitements humiliants infligés aux femmes;
  • la Déclaration et le programme d’action de Beijing, fruit de la Quatrième conférence mondiale des Nations unies sur les femmes (4 -15 septembre 1995), notamment dans le domaine prioritaire d’action E sur les Femmes et les Conflits armés;
  • le document final de la session spéciale de l’Assemblée générale de l’ONU, Beijing + 5, sur les actions et initiatives menées pour mettre en oeuvre la Déclaration de Beijing et le programme d’action du 5 – 9 juin 2000, sur les obstacles à la participation des femmes, à égalité, aux initiatives d’établissement de la paix et sur une répartition égalitaire (50/50) des sexes dans les missions de maintien de la paix et les négociations en faveur de la paix ainsi que
  • le rapport de la Commission des Droits des Femmes et de l’Egalité des Chances, au Parlement europeen, sur la participation des femmes au règlement pacifique des conflits.

De plus l’Internationale socialiste des Femmes:

  • demande l’amélioration des systèmes judiciaires par le renforcement des procédures et des mécanismes d’enquête, de plainte et de poursuite judiciaire afin d’éliminer les violences contre les femmes pendant les guerres et les autres conflits. L’Internationale socialiste des Femmes demande également la reconnaissance du viol comme crime de guerre et, de ce fait, sujet à la prévention, à la poursuite en justice et aux peines judiciaires imposées par la justice internationale;
  • prend note du fait que les femmes et les enfants représentent 80% des réfugiés mondiaux et que 90% des victimes des guerres sont maintenant des civils, surtout des femmes et des enfants, ainsi que du fait qu’un large éventail d’études montre que la mobilisation des soldats de sexe masculin -qu’ils soient issus d’armées ou des forces de maintien de la paix – contribue à la montée de la prostitution à proximité des bases et des camps militaires, ce qui a pour effet d’accroître la prostitution enfantine et la propagation des maladies sexuellement transmissibles;
  • encourage les journalistes et surtout les femmes à respecter une perspective scrupuleusement juste dans leurs reportages sur les conflits armés et à ainsi promouvoir une image objective et humaine afin de neutraliser les présentations fréquemment agressives et partisanes de ces conflits;
  • demande la protection des réfugiés et des personnes déplacées, en accordant une attention particulière aux femmes et aux filles afin de répondre à leurs besoins spécifiques et de garantir un accès à l’assistance humanitaire identique aux hommes;
  • note que les services de santé doivent tenir compte des droits sexuels et procréatifs et inclure des programmes de lutte et de prévention contre le VIH/sida qui touchent les femmes et les filles de manière disproportionnée et considère l’accès aux médicaments pour vaincre cette maladie comme un droit fondamental et appelle les gouvernements nationaux et les organisations internationales à mettre en place des mesures garantissant leur disponibilité;
  • insiste pour que l’on donne la priorité au soutien médical et psychosocial aux femmes et aux filles qui subissent des sévices sexuels durant et après les périodes de conflit;
  • demande instamment la participation des femmes au maintien de la paix, à la diplomatie préventive et à tous les stades de médiation et de négociation relatifs à la paix;
  • appelle le secrétaire général de l’ONU à augmenter le nombre de femmes dans les fonctions relatives au maintien de la paix, notamment comme représentant et envoyé spéciaux, en commençant par un quota minimum de 30 %. La prévention du viol généralisé et des attaques contre les femmes et les filles devraient être une priorité dans le domaine de l’intervention des Nations unies en tant que flambeau de l’action humanitaire et de la paix ainsi que dans le domaine des mesures établies pour éviter et empêcher de tels abus dans tous les conflits internationaux et régionaux. La persécution due au genre devrait être passible d’asile politique;
  • note que l’égalité des sexes et l’intégration de la dimension féminine dans toutes les politiques doivent être prises en compte dans tous les domaines et aspects de la reconstruction des pays et régions sortant d’un conflit. Une particularité doit être accordée à l’accès aux ressources ainsi qu’à la formation et l’éducation des femmes et des filles. Cet enseignement doit être une priorité;
  • souligne que les institutions locales, nationales, régionales et internationales doivent renforcer le rôle des femmes dans la prévention et la résolution des conflits et dans l’instauration de la paix et mettre en place des systèmes de première alerte (y compris des systèmes sexospécifiques) permettant de contrôler les situations de crise potentielle;
  • se déclare vigoureusement favorable à la proposition de la Commission sur la Sécurité Humaine qui préconise de donner la priorité à la sécurité humaine dans les programmes locaux, nationaux, régionaux et mondiaux afin de prévenir, de résoudre les conflits et de faire progresser les droits de la personne pour protéger et autonomiser les individus et leurs communautés.

Enfin, l’Internationale socialiste des Femmes exhorte les gouvernements à réaffecter progressivement au moins 5 % des dépenses militaires nationales aux programmes en matière de santé, d’éducation et d’emploi destinés à éliminer l’inégalité des sexes dans la société et à donner aux femmes les moyens de décider leur vie en protégeant et en promouvant leurs droits politiques, sociaux et économiques.